Critique

Partir un jour avec Juliette Armanet : que vaut le film d’ouverture du Festival de Cannes 2025 ?

13 mai 2025
Par Lisa Muratore
Juliette Armanet dans “Partir un jour”, le film d'ouverture du Festival de Cannes.
Juliette Armanet dans “Partir un jour”, le film d'ouverture du Festival de Cannes. ©Topshot Films/Les Films du Worso/Pathé Films/France 3 Cinéma

Ce mardi 13 mai, Amélie Bonnin a ouvert la quinzaine en présentant Partir un jour au Festival de Cannes. Adapté de son court-métrage éponyme, la cinéaste offre un premier film aussi drôle qu’émouvant, porté par l’épatante Juliette Armanet.

La 78e édition du Festival de Cannes vient de débuter. Avec Partir un jour, Amélie Bonnin offre à son court-métrage initial, lauréat d’un César en 2023, une version longue et en profite, au passage, pour changer quelques détails. Julien – désormais connu sous le nom de Raphaël – n’est plus le personnage principal du film. C’est au tour de Cécile d’être au cœur du récit, toujours interprétée par Juliette Armanet.

Après avoir incarné une employée de grande distribution dans le court-métrage, la voilà propulsée cheffe d’un restaurant gastronomique sur le point d’ouvrir à Paris. Toutefois, les problèmes de santé de son père vont forcer la jeune femme à rentrer au bercail. De retour dans son village natal, la restauratrice va croiser le chemin de son amour de jeunesse, Raphaël (Bastien Bouillon). De quoi faire vaciller toutes ses certitudes.

Bastien Bouillon et Juliette Armanet incarnent respectivement Raphaël et Cécile dans Partir un jour. ©Topshot Films/Les Films du Worso/Pathé Films/France 3 Cinéma

Toute première fois

La présentation en ouverture du Festival de Cannes de Partir un jour représente un événement à plus d’un titre. Si une femme cinéaste n’avait pas ouvert le bal depuis Jeanne du Barry (2023) de Maïwenn – et sa controversée montée des marches en présence de Johnny Depp –, c’est surtout la première fois qu’un premier long-métrage est présenté en ouverture. Un geste fort de la part de l’organisation cannoise qui souligne également l’importance du soutien aux première œuvres cinématographiques pour la trajectoire future des réalisateurs et réalisatrices.

Par ailleurs, Partir un jour signe les débuts de Juliette Armanet au cinéma dans un rôle de premier plan. En effet, si la chanteuse apparaissait dans Rosalie (2024), ou plus récemment dans la série Carême (2025), elle s’offre avec le long-métrage d’Amélie Bonnin la tête d’affiche.

La réalisatrice filme avec véracité et délicatesse le parcours parfois compliqué de Cécile. De retour dans le restaurant routier tenu par ses parents, l’ancienne gagnante de Top Chef va devoir se confronter à son passé : de ses premiers pas dans la cuisine familiale à ses retrouvailles avec ses amis d’enfances. Cependant, Cécile essuie aussi les reproches d’un père qui a du mal à vivre son départ vers la capitale et sa célébrité naissante.

Dominique Blanc et Juliette Armanet dans Partir un jour. ©Topshot Films/Les Films du Worso/Pathé Films/France 3 Cinéma

Chanter ensemble

Cela crée par conséquent un véritable décalage entre la jeune femme et son entourage. Une dissonance magnifiée par le choix de la comédie musicale. Car, outre un film social analysant en filigrane la fameuse « province » face à « la capitale », et une comédie romantique moderne, Partir un jour est aussi un long-métrage musical dans lequel les personnages reprennent les grands standards de la chanson française, de Dalida à K. Maro en passant par Stromae.

Un choix scénaristique important qui permet à Amélie Bonnin d’évoquer la difficulté des relations humaines. Un lien père-fille rompu, les problèmes de couple, le traumatisme d’une rupture… Tout y passe et ce n’est que quand les personnages parviennent enfin à chanter ensemble qu’ils se comprennent. La chanson, malgré des dialogues drôles et pertinents, dépasse ainsi la parole.

Bastien Bouillon dans Partir un jour.©Topshot Films/Les Films du Worso/Pathé Films/France 3 Cinéma

Aux grands tableaux musicaux, la réalisatrice préfère le naturalisme d’une situation quotidienne accentuée par la chanson et parfois quelques pas de danse. Ainsi, pour apporter cette véracité à son récit, Amélie Bonnin a fait le choix de ne pas prendre des acteurs sachant chanter, mis à part Juliette Armanet. Si cette dernière excelle chaque fois qu’elle donne de la voix, le reste de la distribution entonne quant à elle avec sincérité les reprises modernisées des tubes choisis.

Ceci apporte véracité et unicité à cet objet cinématographique aussi riche que frais, dans lequel une reprise mélodieuse de 2B3 côtoie Ces soirées-là de Yannick, Pour que tu m’aimes encore de Céline Dion, mais aussi la sublime chanson de Claude Nougaro, Cécile, ma fille délivrée avec émotion par un François Rollin magistral.

16,99€
21,37€
En stock
Acheter sur Fnac.com

Modern Love

Ces reprises sont également un argument humoristique, de tension ou de résolution. Preuve qu’Amélie Bonnin a pensé son film sous le prisme de son impact émotionnel. Pour autant, cette comédie romantique, dont l’enjeu narratif semble tout droit sorti d’un téléfilm de Noël (une jeune citadine revient dans sa ville natale et croise son amour de jeunesse), n’a rien de niais ou de dépassé. Partir un jour est un film moderne qui parle avec nostalgie et réalisme du premier amour, tout en filmant les difficultés du mariage, les non-dits du couple, ainsi que les gros comme les petits mensonges que l’on peut faire à son ou sa partenaire.

Bastien Bouillon et Juliette Armanet dans Partir un jour.©Topshot Films/Les Films du Worso/Pathé Films/France 3 Cinéma

Jamais Partir un jour ne vend l’amour idéal, pas plus qu’il ne suit l’archétype classique du personnage féminin. Juliette Armanet incarne ainsi une femme aux prises avec ses tiraillements intérieurs, ses envies, son égoïsme et sa sensibilité. Il en ressort une héroïne actuelle, magnifiée par la lumière et les mouvements de caméra d’Amélie Bonnin.

La chanteuse y apparaît sublimée comme jamais, au même titre que Dominique Blanc (de la Comédie-Française), magnifique dans la peau d’une mère attentionnée, franche et fantasque. Face à elle, François Rollin incarne un père impérial mais sensible, tandis que Bastien Bouillon offre une partition joyeuse et drôle, loin du jeu sombre qu’il menait dans Le Comte de Monte Cristo (2024) ou bien chez Dominik Moll dans La nuit du 12 (2022).

La bande-annonce de Partir un jour.

On sent qu’Amélie Bonnin aime chacun de ses personnages. La cinéaste leur insuffle une vraie humanité dans un film efficace, drôle et émouvant. Porté par une galerie de personnages au sein de laquelle Juliette Armanet rayonne, Partir un jour n’est pas une comédie romantique et musicale comme les autres.

Ce premier long-métrage s’impose comme une véritable proposition cinématographique. Grâce à une écriture perspicace, Amélie Bonnin montre que le cinéma français sait se réinventer et a encore beaucoup de choses à offrir. Nul doute que le reste de la compétition officielle, marquée par les prochains films de Dominik Moll ou Julia Ducournau, devrait confirmer cela tout au long de la quinzaine du Festival de Cannes.

À lire aussi

Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste