Décryptage

Pour toujours : où en est-on de la représentation des personnages racisés dans les teen dramas ?

09 mai 2025
Par Marion Olité
“Pour toujours (Forever)”, le 8 mai 2025 sur Netflix.
“Pour toujours (Forever)”, le 8 mai 2025 sur Netflix. ©Netflix

Ce 8 mai, un nouveau teen drama vient s’ajouter au catalogue déjà bien fourni de Netflix. Adaptée d’un classique de la littérature young adult, la série Pour toujours raconte le premier amour de deux adolescents noirs, et c’est une réussite attendue depuis longtemps.

Publié en 1975, le roman Forever suivait les premiers émois sentimentaux et sexuels de Katherine et Michael, deux lycéens du New Jersey. Censuré de nombreuses fois pour son évocation franche de la sexualité adolescente, le best-seller de Judy Blume a marqué des générations d’ados, jusqu’à devenir un classique. Pour son adaptation sérielle contemporaine, la créatrice Mara Brock Akil (Girlfriend, Being Mary Jane) déplace l’action dans le Los Angeles de 2018, où Keisha (Lovie Simon) et Justin (Michael Cooper Jr.), deux jeunes noirs à l’avenir sportif prometteur, vont vivre leur première grande histoire d’amour.

Une promesse de black love

« Enfin une histoire d’amour entre jeunes noirs, mon Dieu ! », « C’est formidable de voir du black love adolescent », « Enfin ! Une comédie romantique qui met en vedette deux héros à la peau noire »… Les commentaires sous le trailer de Forever, likés des milliers de fois sur YouTube, illustrent les enjeux de représentation autour de la série.

Lovie Simone et Michael Cooper Jr. dans Pour toujours.©Netflix

La showrunneuse, Mara Brock Akil, confiait dans un communiqué les raisons de son choix d’adapter ce roman : « La capacité de Judy Blume à capturer avec authenticité les émotions que nous ressentons lors des différents rites de passage de notre jeunesse a influencé mes choix de vie et mon style d’écriture. Je suis honorée de réimaginer l’un de mes livres préférés, Forever. Je suis ravie d’avoir l’opportunité unique de m’associer à une icône de la jeunesse et de porter cette histoire sur Netflix, où l’idée de votre premier amour, qui vous accompagne pour toujours, sera partagée avec le monde, à travers le prisme du black love. »

Lovie Simone et Michael Cooper Jr. dans Pour toujours.©Netflix

Popularisé aux États-Unis par l’animatrice Oprah Winfrey (elle produit depuis 2017 une téléréalité intitulée Black Love), ce concept repose sur la célébration des relations romantiques entre personnes afrodescendantes, dans un contexte postcolonial où le racisme systémique perdure. Ce dernier revêt de multiples formes dans notre société.

À Hollywood, c’est celle de l’invisibilisation et du manque de représentation de romances entre personnes noires dans les films et séries grand public. Un constat encore plus criant quand on observe le genre du teen drama, popularisé dans les années 1990 aux États-Unis.

Une lente évolution

Beverly Hills, Angela 15 ans, Les frères Scott, Gossip Girl, Dawson, Buffy, Freaks and Geeks, Skins… Force est de constater que les séries adolescentes cultes des années 1990 sont extrêmement blanches. Il faut creuser du côté des personnages secondaires ou tertiaires pour y trouver un peu de diversité. Grandir dans les nineties en étant une personne racisée, c’était ne jamais se voir représentée à la télévision, à moins d’aller faire un tour du côté des sitcoms américaines.

Xosha Roquemore et Lovie Simone dans Pour toujours.©Netflix

Des séries comiques pionnières et très populaires, comme Le prince de Bel-Air (1990-1996) portée par Will Smith ou Moesha (1996-2001) avec la chanteuse Brandy dans le rôle-titre, ouvrent la voie à de nouvelles représentations de l’adolescence noire. Mais l’évolution est lente et les décideurs semblent décidés à circonscrire l’expérience adolescente noire au genre de la sitcom, comme si les téléspectateurs ne pouvaient regarder ces histoires que par le prisme de l’humour.

Dans les années 2000, The Brothers García (2000-2004) est l’un des premiers shows américains centrés sur une famille latino-américaine et écrits par une équipe créative entièrement latino. Puis, dans Everybody Hates Chris (2005-2009), l’humoriste Chris Rock fictionnalise sa propre adolescence tourmentée, dans un lycée de blancs où il est harcelé. Là encore, il faut en rire pour faire passer le message.

Michael Cooper Jr. et Wood Harris dans Pour toujours.©Netflix

Il faut des séries chorales comme Hartley cœur à vif (1994-1999), l’increvable Degrassi (la première série débute en 1987 et connaîtra des suites et spin-offs jusqu’en 2019), ou plus tard Glee (2009-2015) et Sex Education (2019-2023) pour voir des personnages racisés représentés à l’écran, sans pour autant être les héros et héroïnes de l’histoire. En France, où les teen dramas ont mis du temps à émerger (pas merci les sitcoms d’AB Production très blanches et très culcul), la diversité arrive aussi grâce à des œuvres au casting choral, comme Les grands (2016-2019), SKAM France (2018-2023) ou Mental (2019-2021).

Le tournant des années 2010

L’adolescence racontée avec toute l’intensité des premiers émois, notamment amoureux, reste réservée aux personnages blancs. Il faut attendre le milieu des années 2010 et l’émergence du mouvement Black Lives Matter (né en 2013 grâce à Patrisse Cullors, Alicia Garza et Opal Tometi, il prend une résonance mondiale en 2020 après le meurtre de George Floyd) pour observer une véritable (r)évolution dans l’implicite hiérarchisation raciale à l’œuvre dans les teen dramas, qui veut que les protagonistes racisés ne soient jamais au centre du récit. Des séries comme All American (depuis 2018), On my Block (2018-2021) ou Trinkets (2019-2020) mettent en scène le passage à l’âge adulte d’adolescents racisés au premier plan.

Euphoria est l’un des teen dramas les plus populaires de ces dernières années.©HBO

Le succès planétaire de la série Euphoria (depuis 2019), portée par la performance de l’actrice métisse Zendaya dans le rôle de Rue, une jeune femme addict en proie à la dépression après la mort de son père, vient bousculer les représentations. Non seulement Sam Levinson place au centre de son histoire une jeune femme afro-américaine qui lutte contre ses démons intérieurs, mais il lui fait vivre un sublime premier amour queer, avec le personnage trans de Jules (Hunter Schafer).

Le carton mondial d’Euphoria vient prouver que la diversité n’intéresse pas qu’un public de niche. Ces séries abordent à la fois l’expérience universelle de l’adolescence, mais aussi des problématiques spécifiques liées à l’identité, aux rapports sociaux et aux contextes culturels, très souvent absentes dans les teen dramas blancs.

Les années 2020 permettent d’ouvrir encore le spectre des points de vue avec des shows comme Love, Victor (les premiers émois et le coming-out d’un adolescent latino), Never Have I Ever (une irrésistible comédie signée Mindy Kaling sur une adolescente d’origine indienne) ou l’acclamé Reservation Dogs.

Créé par Sterlin Harjo et Taika Waititi, ce dernier nous raconte l’adolescence de quatre amis natifs-américains dans l’Oklahoma rural, qui naviguent entre l’intensité de leur héritage culturel et le désir de réaliser leurs rêves loin de leurs terres natales. On note aussi dans l’Hexagone des tentatives éphémères originales, comme les séries fantastiques Mortel (2019) et Vampires (2020) sur Netflix, portées par des personnages adolescents noirs et d’origine arabe.

Le droit à la romance

Depuis 2022, la série L’été où je suis devenue jolie, adaptée des best-sellers de Jenny Han, nous raconte avec une vibe très Dawson les amours de Belly, une adolescente d’origine asiatique tiraillée par son amour pour deux frères qu’elle connaît depuis l’enfance. Si l’identité raciale de Belly n’est pas abordée explicitement, sa visibilité (et celle d’autres personnages, comme sa mère ou son frère) permet de normaliser la représentation de personnages racisés dans des récits adolescents romantiques.

Lovie Simone dans Pour toujours.©Netflix

Pour toujours s’inscrit dans cette veine, tout en étant plus volontaire sur le fait que ses deux protagonistes, Justin et Keisha, font face à l’universalité des premiers émois, mais aussi à des sujets liés à leur couleur de peau (notons à ce sujet qu’une série portée par deux acteurs à la peau foncée est rarissime). Ils vivent avec une pression de réussite très forte, en particulier Keisha, dont la mère enchaîne les jobs pour lui donner toutes les chances d’aller à l’université.

L’œuvre aborde également d’autres sujets liés à l’adolescence contemporaine : victime de revenge porn, Keisha tente de se reconstruire, tandis que Justin vit avec un trouble du déficit de l’attention qui peut lui jouer des tours dans ses relations sociales.

Xavier Mills dans Pour toujours.©Netflix

Réalisatrice du premier épisode, Regina King fait bon usage de la luminosité d’un Los Angeles loin des clichés, pour capturer toute la poésie des sentiments naissants entre les deux adolescents, dont l’innocence est menacée de toutes parts. En résulte une série à la fois douce, intense et consciente des épreuves que doivent traverser leurs personnages, incarnés avec une grande justesse par les attachants Michael Cooper Jr. et Lovie Simon. Solaire et sensible sans tomber dans le mièvre, Pour toujours encapsule à merveille ces premières fois, que l’on garde dans un coin de son cœur pour le reste de sa vie.

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