
Les hits manga ne se limitent plus à de jeunes garçons avides de bagarre pour changer le monde. Et c’est une bonne nouvelle.
Un jeune homme souvent faiblard, naïf et orphelin poursuit un idéal de justice et devient, grâce à une succession de power-up, le plus fort du monde. Fin de l’histoire. Si on ne s’y intéresse pas vraiment, on pourrait presque réduire les plus grands succès mangas de ces dernières décennies à ce seul schéma narratif un brin caricatural.
Génération Club Dorothée
Les chevaliers du zodiaque, Dragon Ball… Cette intrigue, la génération Club Dorothée la connaît bien, tout comme la génération Game One, bercée par Naruto ou Hunter x Hunter. Normal : ce script réducteur est un genre en soi appelé le shonen nekketsu, « garçon adolescent » et « sang chaud » en japonais dans le texte. Ces mangas prônant l’amitié et le dépassement n’ont pas envahi l’imaginaire collectif par hasard. Ce sont eux qui vendent le plus, donc logiquement ceux que les éditeurs mettent en avant.

Mais l’ère de la toute-puissance des shonen nekketsu pourrait toucher à sa fin. Avec la parution des deniers tomes de nombreuses sagas populaires comme My Hero Academia, One Piece et Jujutsu Kaisen, l’univers de la bande dessinée japonaise dit adieu à de grandes licences du genre. De quoi permettre aux mangas de vivre une seconde jeunesse ?
Casser les codes
Quand les codes d’un genre littéraire ou cinématographique sont bien installés, il ne reste qu’à les déstructurer. C’est exactement ce que fait avec brio One Punch depuis plus d’une décennie, sans pour autant s’affranchir d’un goût pour la bagarre.
De son côté, Frieren va plus loin. Depuis sa sortie en 2020, ce manga détonne. Le pitch : une magicienne vient de sauver le monde avec un groupe d’aventuriers qu’elle promet de revoir dans 50 ans. Jusqu’ici, rien de bien novateur.

On pourrait même s’attendre à ce que le cœur de l’histoire se résume à une prochaine quête toujours plus épique, dont Frieren sortirait, évidemment, encore plus forte et ainsi de suite. On se retrouve pourtant embarqué dans une merveilleuse réflexion sur le temps qui passe.
Car si les années n’ont pas de prise sur notre héroïne, elles en ont sur ses anciens compagnons de route. Un mix étonnant entre un univers très proche des codes du gaming, saupoudré d’un peu de La recherche du temps perdu de Marcel Proust.

Même les derniers succès shonen nekketsu s’affranchissent de leurs schémas habituels. Alors que, d’habitude, leurs personnages principaux sont profondément bons et purs, celui de Chainsaw Man est loin d’avoir une conduite noble. Pour notre plus grand plaisir (coupable). On peut également citer l’excellent Sakamoto Days, dont le protagoniste est un épicier rondouillet et calme… en apparence.
Des histoires variées
Toutes ces nouveautés séduisent. Frieren a d’ailleurs pris de court le petit monde du manga par son succès fulgurant, voire inattendu pour une telle histoire. Le titre est devenu le troisième le plus vendu au Japon l’année dernière, juste derrière Jujutsu Kaisen et One Piece, les deux poids lourds du shonen nekketsu.

Parmi les hits récents venus du pays du Soleil Levant, Oshi no Ko a, lui aussi, réussi à se faire une place grâce à une trame narrative singulière. En quelques mots : un gynécologue se réincarne en fils caché de son idole, une star de la pop, et découvre alors les coulisses malsaines du show-business.
Ces succès, comme celui de la famille déjantée de Spy x Family, prouvent que le marché du manga a atteint une maturité suffisante pour s’ouvrir à une pluralité de thématiques. Les aventures parsemées de batailles grandioses, c’est bien, mais le genre a tellement plus à nous offrir qu’il aurait été frustrant de ne pas faire une large place à des territoires encore peu explorés.
Plus d’héroïnes
L’univers manga est habité de personnages largement masculins. De Naruto à Son Goku, en passant par Tanjirō et Ichigo, une immense majorité de BD japonaises les plus en vue dans les années 2010 sont centrées sur les exploits de jeunes hommes. Sur ce point aussi, Frieren apporte un vent de fraicheur avec une héroïne flamboyante. Et l’œuvre de Tsukasa Abe et de Kanehito Yamada n’est pas la seule à prendre ce contre-pied.

Les carnets de l’apothicaire met en scène l’histoire d’une jeune femme qui démêle des intrigues au sein de la cour impériale. Ici, pas de face à face grandiloquents à base de techniques toujours plus dévastatrices et, pourtant, le titre est le quatrième manga le plus vendu au Japon. Dans un registre différent, Akane-Banashi creuse également son sillon avec une héroïne dont le rêve est de devenir un monument du théâtre japonais.
Soyons honnête : le shonen nekketsu à l’ancienne fait et fera malgré tout de la résistance avec des titres comme Kaiju no 8 et Chainsaw Man. Mais ce genre auquel le manga est si souvent réduit peine à trouver un successeur aussi fructueux que ses anciennes poules aux œufs d’or. Et surtout, ses nouvelles licences à succès font le choix radical de ne pas trop étirer leur saga en longueur au risque de lasser le lecteur ou d’en gâcher la fin. Encore un bon point !