
Invité d’honneur de la Quinzaine des cinéastes, l’acteur et réalisateur (re)connu pour son humour absurde et fédérateur s’est prêté au jeu de la masterclass.
À peine arrivé sur la scène du Théâtre Croisette, Alain Chabat plaisante déjà avec le public. Un échange naturel et sincère, qui se poursuit durant plusieurs heures. En tant qu’invité d’honneur de la Quinzaine des cinéastes, ce dernier bénéficiait d’une carte blanche pour projeter une œuvre de son choix, suivie d’une masterclass. Du côté des spectateurs, les théories fusent : va-t-il présenter une toute nouvelle œuvre ? Ou diffuser sa série, Astérix et Obélix : le combat des chefs ?
« J’aurais pu vous partager Oscar, avec Louis de Funès, qui est le premier film qui m’a fait mourir de rire quand j’étais petit, avance le réalisateur en préambule. J’aurais aussi pu choisir Tonnerre sous les tropiques, L’aventure c’est l’aventure ou encore les Monty Python. Mais j’ai opté pour une pépite peut-être moins connue : Tin Men (Les filous) de Barry Levinson. C’est un long-métrage très beau, qui a changé ma vie. »
Quand le rire devient une arme
« Ce n’est pas une avalanche de rires, il n’y a pas punchline sur punchline », souligne Alain Chabat après les deux heures de projection. Pourtant, il adore le film pour sa finesse et ses personnages bien construits, « qui ne font pas de cadeaux aux spectateurs, mais restent attachants sans en faire des tonnes ». Le genre de production qui souligne la puissance subtile de l’humour comme vecteur de messages profonds.
« La comédie permet d’entendre mieux ce qu’on a à dire quand on est énervé. » Le cinéaste admet volontiers que ses films naissent de colères. Derrière ses œuvres cultes, comme Didier et Astérix et Obélix : mission Cléopâtre, se cachent souvent des agacements transformés en rires communicatifs. « Avec la comédie, on n’est pas juste des crétins qui râlent ; on raconte des choses de façon audible. »
La musique des dialogues
Pour Alain Chabat, la clé d’une bonne comédie réside d’abord dans la musicalité des dialogues. « C’est une question de rythme. » Lorsqu’il écrivait Didier, il ajustait le scénario en entendant la voix et le timbre de Jean-Pierre Bacri dans sa tête. Cependant, la magie opère réellement quand les acteurs s’emparent du texte et apportent leur propre sensibilité. « Les bons comédiens ont une excellente lecture du matériau de base et trouvent toujours une intention meilleure que celle que j’avais imaginée. »
Souhaitant partager ses propres influences avec le public, le cinéaste a diffusé plusieurs extraits de films qui ont marqué – et inspiré – ses propres œuvres. Parmi elles : The Groove Tube (Faites-le avec les doigts) de Ken Shapiro, un film à sketches parodiques découvert dans une petite salle parisienne qui a nourri les shows des Nuls.
Les limites de l’humour
Pourtant, au cinéma, Alain Chabat préfère une narration structurée : « Je veux un début, un milieu et une fin, mais avec des conneries. » Et aussi beaucoup de spectacle. « J’ai besoin de bordel dans mes longs-métrages, confie-t-il dans un sourire. J’ai besoin de Vikings, d’avions qui s’écrasent, du village du Père Noël et d’un grand match de foot à la fin de Didier. »
À l’opposé d’un Quentin Dupieux, qu’il admire, mais dont le cinéma minimaliste ne lui correspond pas : « J’aimerais faire quelque chose de très “rien”, de pas cher, mais c’est difficile. La place de cinéma est à plus de 10 €, je veux en balancer un max pour le spectateur. » Malgré cette dimension spectaculaire, le cinéaste insuffle beaucoup de lui dans ses films, qui « correspondent tous à une période de [s]a vie ».
Top Secret de Jim Abrahams, David Zucker, Jerry Zucker, Tonnerre sous les tropiques de Ben Stiller… Les extraits de films s’enchaînent et les anecdotes s’accumulent. « La première fois que j’ai vu Le shérif est en prison de Mel Brooks, une porte s’est ouverte dans ma tête et je me suis dit : “On peut vraiment faire ça au cinéma ?”. C’est très drôle, mais très violent sur certains sujets comme le racisme et le colonialisme. Il n’y a aucune ambiguïté sur le fond : c’est une œuvre qui dénonce tout ça. Mais ils y vont fort. » Des qualités qu’il retrouve aujourd’hui dans le cinéma de Jean-Pascal Zadi, qui est « tellement fin, brillant et hilarant ».
Conscient que des œuvres comme Tonnerre sous les tropiques ou Le shérif est en prison seraient jugées problématiques aujourd’hui, Alain Chabat admet aussi être parfois allé trop loin avec les Nuls. « Notre limite, c’était de ne pas blesser la personne. Mais parfois, on le faisait et on le regrettait, c’était un peu gratuit. Mais quand tu produis de la connerie au quotidien, tu n’as pas assez de recul et tu peux faire du mal sans t’en rendre compte. »
La magie de l’animation
Après plus d’une heure d’échange, Alain Chabat est revenu sur le succès d’Astérix et Obélix : le combat des chefs. Grand adepte des dessins animés, le cinéaste rêvait de devenir Walt Disney quand il était enfant. « J’ai eu des fous rires devant Le livre de la jungle et Merlin l’enchanteur, se souvient-il. J’ai cru que j’allais crever de rire devant la scène du paresseux dans Zootopie ; je suffoquais. L’animation a une grande place dans ma vie, c’était un rêve de gosse. »

Les minisketches d’Avez-vous déjà vu lui avaient permis de découvrir cet univers où le moindre détail est réfléchi, « de la fleur à la peau au bouton de braguette ». « C’est un truc de cinglé, affirme-t-il. Ça met ta patience – que je n’ai pas – à l’épreuve, mais j’adore travailler avec les personnes qui font de l’animation. Ce sont de vrais passionnés. »
Une passion qu’il peut désormais partager avec le monde entier. Propulsée par le géant du streaming Netflix, sa nouvelle série bat des records et s’exporte à l’étranger. « Avec les plateformes, la comédie peut traverser les frontières. Le combat des chefs se balade dans le monde et c’est juste génial de savoir que je peux faire rire des personnes de cultures et de milieux différents. »

Quid d’un nouveau passage par Hollywood ? « J’ai déjà eu la chance de tourner avec Ben Stiller et Eddie Murphy, qui est mon idole. Je ne suis pas fermé à l’idée, donc si l’occasion se représente, pourquoi pas ! »