Entretien

Saeed Roustaee pour Woman and Child : “J’ai toujours pensé que la raison et le droit doivent être du côté des femmes”

24 mai 2025
Par Lisa Muratore
“Woman and Child”.
“Woman and Child”. ©Diaphana

Saeed Roustaee a présenté au Festival de Cannes 2025, Woman and Child. Sélectionné en compétition officielle, le film raconte la lutte d’une femme iranienne après un terrible accident. À l’occasion de sa présence sur la Croisette, L’Éclaireur s’est entretenu avec le réalisateur connu pour son travail sur La loi de Téhéran (2019) et Leïla et ses frères (2022).

Quel est le point de départ de l’histoire de Woman and Child présenté au Festival de Cannes ?

Les histoires de famille, de demande en mariage, car c’est de ça dont il est question aussi dans mon film, m’ont toujours passionné depuis l’enfance. J’ai toujours été témoin de cela quand j’étais plus jeune. Quand je fais un film, j’ai plusieurs idées qui me viennent. Puis, l’une d’elle va s’imposer à moi, comme si elle me disait d’elle-même qu’il faut la traiter. C’est ainsi qu’en grandissant, et en étant cinéaste, que cette histoire est devenue un véritable sujet.

Comment sait-on qu’on va partir sur un sujet en particulier ? C’est quoi finalement la bonne idée ?

C’est plus fort que tout, ça s’impose à vous. C’est quelque chose d’inconscient. Avant de faire Woman and Child, je disais à mon entourage que j’avais trouvé mon histoire. Cependant, au moment où j’ai commencé à écrire, c’est une autre histoire qui s’est mise à me titiller ; comme si elle ne me laissait pas écrire la première histoire. C’est finalement celle-là que j’ai commencé, mais je n’ai pas osé dire à mes proches que j’avais complètement changé [Rires].

Le film est une histoire de famille mais surtout une histoire de femmes sur plusieurs générations. Comment en tant qu’homme de 35 ans, on écrit des personnages féminins, qui plus est, d’âges différents ?

Il faut savoir que je suis très intelligent ! [Rires]. Je plaisante ! Plus sérieusement, je suis quelqu’un qui travaille beaucoup. Pendant deux ans, j’ai beaucoup travaillé, j’ai reçu beaucoup de conseils, j’ai montré le scénario aux femmes qui étaient autour de moi afin de savoir à quel point j’étais proche de la vérité.

Puis, il faut savoir que je viens d’une grande famille. J’ai deux sœurs et cinq frères. J’ai toujours été très proche de mes sœurs et de ma mère. J’avais l’impression qu’en tant que frère, je les embêtais beaucoup mais j’ai toujours pensé qu’elles avaient raison ; que la raison était de leur côté. Mon regard sur les femmes vient de là. C’est aussi devenu quelque chose de plus fort dans la société. J’ai vu les femmes iraniennes à travers cette conception, à travers cette dualité entre les frères et les sœurs de ma famille. J’ai toujours pensé que la raison et le droit doivent être du côté des femmes.

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Par ailleurs, en filmant le combat intime d’une femme vous filmez aussi la société iranienne. Woman and Child est très engagé.

Je veux montrer une petite chose mais qui est, en fait, la métaphore de tout une société. C’est vrai qu’en regardant cette société, c’est elle que je veux dépeindre mais je dois le faire en deux heures de film, donc je vais le réduire à une histoire, celle d’une seule personne. L’histoire réduite va infuser chez le spectateur. S’il finit par comprendre que je parle de la société iranienne à travers mon personnage, ça veut dire que j’ai bien fait mon travail.

Au-delà de filmer des familles dysfonctionnelles, vous filmez le lien entre deux sœurs dans Woman and Child après avoir filmé Leïla et ses frères dans le film éponyme. Pourquoi la fraternité et la sonorité vous intéressent-ils autant ?

Pour moi, ce thème a toujours été important, car, comme je le disais, j’ai grandi entouré de mes frères et de mes sœurs. C’est vrai que je n’avais pas pensé à Woman and Child de cette manière, comme un film sur la sororité ou une histoire entre deux sœurs, mais si ça se voit ainsi, c’est que ça doit l’être !

« Je pense que la vie est courte et qu’il faut être plus dans l’urgence. »

Saeed Roustaee

Le film parle aussi du deuil. Peut-on dire que c’est votre film le plus personnel ?

Je pense que Leïla et ses frères est mon film le plus personnel. Mon but ici était de dépeindre une tragédie moderne. Dans ce genre, Dieu ne vous sauve pas et il n’y a pas de miracle. Vous allez ainsi enchaîner peine sur peine, douleur sur douleur. C’est comme si vous étiez dans une guerre et que tous les drapeaux finissaient par se coucher, défaite après défaite. Je voulais montrer avec mon personnage qu’il n’y a que elle qui peut se sauver. Quand Mahnaz (Parinaz Izadyar) décide de sa sauver, elle en a fini avec le deuil. J’espère avoir réussi à dépeindre cette tragédie moderne.

Les personnages sont toujours dans des lieux clos, que ce soit l’appartement familial ou l’hôpital. Quel enjeu représente, pour vous, le huis clos ?

Que ce soit dans ce film ou dans Leïla et ses frères, je me disais toujours qu’il y a beaucoup de secrets à dévoiler et cela doit se faire dans des endroits clos. Il faudrait que mes personnages soient proches les uns des autres, qu’ils puissent écouter aux portes, et qu’ils ne soient pas éloignés. Dans Woman and Child, on voit à plusieurs reprises quelqu’un qui écoute quelque chose qu’il ne doit pas entendre. Les portes qui les séparent parfois représentent ici les portes de la pensée. C’était quelque chose d’important pour moi.

Photocall de Woman and Child.

Une autre composante du film, c’est que le verre est très présent. Il y a beaucoup de portes et de fenêtres en verre, dans l’hôpital également. Tout était très vitré. Le film commence et mes personnages sont séparés par une porte-fenêtre en verre. Le film se conclue sur ce même plan tandis que les regard vont se croiser. Pourquoi ? Car je voulais que le verre se brise. C’était pour montrer la fragilité de toutes ces situations de vie et la fragilité des relations humaines.

Qu’est-ce que ce film vous a appris ?

J’ai forcément acquis une nouvelle expérience sur ce tournage, notamment sur la direction d’acteurs. En tout cas, un film de plus à mon âge m’apporte toujours. Ceci étant dit, je vais désormais essayer de faire un film tous les deux ans, au lieu de quatre ans. Il ne faut pas que j’attende aussi longtemps, car j’ai 35 ans et je me dis qu’un jour je vais mourir. Je suis en surpoids d’ailleurs [Rires]… Si j’attend tous les quatre ans entre chaque film, je me demande combien de film je pourrais faire jusqu’à la fin de ma vie. Je pense que la vie est courte et qu’il faut être plus dans l’urgence. Un film tous les deux ans, ce serait bien !

Si vous tenez jusqu’à 90 ans avec un film tous les deux ans, vous êtes pas mal !

Si je me dis qu’en faisait un film tous les quatre ans, ce sera, en fait, cinq. Donc en me disant que je fais un film tous les deux ans, on est en réalité sur trois !

Avez-vous un certain objectif à atteindre ?

J’ai encore trois ou quatre idées qui me trottent dans la tête en ce moment. Je pense qu’à partir d’un certain âge les films que je fais seront plus compliqués. Quand on avance dans l’âge, les films difficiles deviennent encore plus complexes à réaliser. Pour vous donner une idée, mon prochain film se déroulera dans des rues et des ruelles, les personnages vont courir, il va y avoir du sang partout, donc il faut être jeune pour faire cela et avoir encore de l’énergie. Et si j’arrive jusqu’à mes 80 ans, je vous donnerai 80 000 euros ! [Rires].

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste