Critique

Ma frère est la bouffée d’oxygène dont le Festival de Cannes avait besoin

23 mai 2025
Par Agathe Renac
“Ma frère” est le nouveau film de Lise Akoka et Romane Gueret.
“Ma frère” est le nouveau film de Lise Akoka et Romane Gueret. ©StudioCanal

Trois ans après Les pires, Lise Akoka et Romane Gueret reviennent à Cannes avec Ma frère, chronique drôle et sensible d’une jeunesse complexe.

C’est un film qui sent l’été, le plastique chaud et les premières fois. Après avoir remporté le prix Un certain regard en 2022 avec Les pires (qui avait révélé Mallory Wanecque), Lise Akoka et Romane Gueret sont de retour au Festival de Cannes avec Ma frère, qui reprend le duo féminin de leur série Tu préfères ?. « On s’est interrogées sur une saison 2 (…), mais nous avions envie de sortir de cet aspect chronique, confie Lise Akoka dans une interview accordée au site du Festival. Et puis, surtout, il y avait Shirel Nataf et Fanta Kebe, nos deux comédiennes, à qui nous souhaitions offrir un terrain de jeu plus large pour exprimer tout leur talent. » Un pari risqué, mais réussi, qui prend la forme d’un long-métrage lumineux et captivant.

Jeux d’enfants

Shaï et Djenaba sont amies depuis toujours. Si la première est étouffée par une famille trop présente, la seconde souffre de l’absence de sa mère. Le temps d’un été, elles quittent Paris et les tours du XIXe arrondissement dans lesquelles elles ont grandi pour devenir animatrices dans une colonie de vacances dans la Drôme. Mi-adultes, mi-ados, les jeunes femmes d’une vingtaine d’années sont désormais responsables d’une armée d’enfants de leur quartier, entre 6 et 10 ans.

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Dès les premières minutes, Ma frère nous séduit avec son esprit vif et son humour. Le long-métrage s’ouvre sur une scène d’accouchement mimée par des enfants survoltés qui ne lésinent pas sur les gros mots. Une séquence très drôle, mais qui donne néanmoins le ton du film : ici, les petits jouent aux adultes et les grands redeviennent des gamins.

Une jeunesse multiple

Derrière cette légèreté assumée, les réalisatrices traitent des sujets importants comme la sexualité, le genre, le racisme, la précarité ou encore les violences intrafamiliales. Adultes comme enfants, les personnages abordent ces questions de manière frontale et parfois naïve, à travers des dialogues pertinents qui prennent souvent des allures de punchlines maîtrisées.

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« J’aimerais [que le public] reçoive ce film comme une déclaration d’amour à ces jeunes qui sont pleins de drôlerie et d’intelligence, affirme Lise Akoka dans son interview. Et que cela contribue à faire glisser le regard sur ce qu’on appelle “les jeunes de quartier”. J’aimerais également que des gens d’autres générations prennent plaisir à apprendre de leur langage, parfois merveilleusement inventif, avec un mélange très savoureux de formules littéraires et d’argot. »

Safe place

Illuminée par la naïveté et la drôlerie des enfants, cette colonie devient un espace de liberté bienvenu pour les héroïnes, loin des injonctions du frère possessif de Shaï et du comportement problématique de la mère de Djenaba. Loin de leurs tours grises parisiennes, elles sont accompagnées par une tribu de gamins particulièrement attachants qui nous font sourire tout au long du film.

©StudioCanal

Ils font écho aux enfants qu’on était et nous font revivre ces étés passés à bronzer près d’une rivière, à se chuchoter des confidences jusqu’à pas d’heure, lovés dans nos duvets, et à se lancer dans de grandes histoires d’amour éphémères qui commencent par un « ma copine veut sortir avec toi », chuchoté au fond du bus.

Si Shirel Nataf, Fanta Kebe et ces enfants comédiens nous touchent par leur sincérité et leur performance impeccable, Amel Bent nous surprend dans ce rôle de directrice de colo passionnée qu’elle incarne avec brio.

©StudioCanal

Bien qu’inattendue, la complicité de ce casting crève l’écran. « Ce que j’ai vécu avec cette team, c’était pas de la fiction, confie la chanteuse sur Instagram. C’était des moments de la vraie vie, avec des âmes de tous âges, toutes origines, tous rêves et avec un objectif commun : nous raconter dans nos différences, nos [fêlures], nos chagrins, nos amours et surtout nos espoirs. »

La force de Ma frère réside dans les prestations de ses comédiens, mais aussi dans sa capacité à alterner humour et gravité, sans jamais tomber dans le pathos. Les sujets graves et importants sont abordés avec des chamallow grillés autour du feu ou dans des confidences nocturnes, et les propos n’en deviennent que plus percutants. Le long-métrage évite ainsi les grandes envolées stylistiques au profit d’une réalisation sobre, privilégiant un scénario travaillé et une évolution subtile des personnages.

Si l’on regrette parfois ce manque de prise de risque, la qualité des dialogues et l’alchimie entre les acteurs suffisent à nous convaincre. Derrière ses airs de comédie estivale, l’œuvre de Lise Akoka et Romane Gueret nous offre des réflexions profondes sur l’amitié, le déterminisme social et les choix décisifs qui marquent le passage à l’âge adulte. On ressort de la projection avec le sourire aux lèvres et l’envie de prolonger ces vacances hors du temps avec cette jeunesse bouillonnante.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste