
En 2025, le réalisateur japonais Kiyoshi Kurosawa dévoile en salles non pas un, mais trois nouveaux films : « Chime » ce 28 mai, « Cloud » le 4 juin, et « La Voie du serpent » le 13 août. Une productivité qui est, depuis longtemps, la marque de fabrique du cinéma d’horreur japonais et de ses maîtres. Focus sur ce cinéma de genre venu du Pays du Soleil levant.
Un jeune apprenti cuisinier se met à entendre un carillon dans sa tête et entraîne la mort dans son école (Chime). Un revendeur en ligne, porté sur le dropshipping, découvre que certains de ses acheteurs mettent en place une conspiration pour le mettre hors d’état de nuire (Cloud). Un père de famille, vivant l’inquiétante disparition de sa fille, se fait aider par une psychiatre pour pénétrer les arcanes d’une société secrète qu’il croit responsable du drame (La Voie du serpent, remake franco-japonais d’un des premiers longs-métrages de Kiyoshi Kurosawa).
Avec ses trois nouveaux films, Kiyoshi Kurosawa s’appuie sur trois piliers du cinéma d’horreur et de suspense : les fantômes, la paranoïa et la vengeance.
Kiyoshi Kurosawa : un auteur de film de genre
Il faut dire que le réalisateur – qui n’a aucun lien de parenté avec l’éminent Akira Kurosawa (Les Sept Samouraïs, Rashōmon) – fait partie d’une triade de cinéastes (avec Hideo Nakata et Takashi Miike) qui ont renouvelé le cinéma de genre au Japon.
Dans le cas de Kurosawa, on peut même parler d’un « auteur », au sens noble du terme, tant son œuvre personnelle croise les genres pour mieux parler de personnages, de phénomènes de société ou de faits divers – Cloud s’inspire d’une histoire vraie et d’un ami du cinéaste s’adonnant au dropshipping. Il a d’ailleurs brillé hors de l’épouvante, avec des films comme Les Amants sacrifiés ou Tokyo Sonata.
C’est en France que Kiyoshi Kurosawa a réussi à s’exporter, à la fin des années 1990, avec la projection de Cure, un conte cruel autour de personnes fragiles hypnotisées, devenant ensuite les auteurs de crimes sanglants. Cette mécanique de la « malédiction », que l’on retrouve dans Chime en 2025, montrait un réalisateur capable de rendre très concrète une horreur avant tout psychologique.
24 ans avant Cloud, Internet était déjà l’étrange espace où se déroulait Kaïro, présenté au Festival de Cannes, et pur film d’épouvante, qui marquait l’appartenance de Kiyoshi Kurosawa à la « J-Horror ».
Quand le Japon s’horrifie
Si on a vu, au début des années 2000, Sarah Michelle Gellar avoir des soucis d’expatriation dans The Grudge, Jennifer Connelly un méchant dégât des eaux dans Dark Water, et Naomi Watts galérer avec son magnétoscope le temps du Cercle, c’est qu’Hollywood s’est emparé, au tournant du siècle, des sujets de la J-Horror, et a multiplié les remakes de films marquants sortis au Japon quelques années auparavant.
Historiquement, le cinéma japonais a intégré le fantastique de manière naturelle : les récits de fantômes (« kaidan ») et les créatures surnaturelles (« yurei » et « yokai ») peuplent le folklore et les contes locaux, et l’une des pièces les plus célèbres du théâtre kabuki (Yotsuya Kaidan) narre la vengeance d’un fantôme sur une série de personnages qu’il parvient à influencer. Autant de thèmes que l’on retrouve dans les films d’horreur nippons des années 1940-1950, les « kaidan eiga ».
Longtemps, ces films de fantômes classiques resteront cloisonnés dans leur pays d’origine : les seuls films d’horreur (physique ou psychologique) à acquérir une réputation hors du Japon le sont d’abord pour leur érotisme, qu’il s’agisse d’Onibaba et ses vrais-faux démons, ou de L’Empire des sens dans les années 1970.
Il y a une quarantaine d’années, une génération de cinéastes autodidactes émerge. Tournant au départ de petits films en Super-8, puis des scènes érotiques, Hideo Nakata perce dans le monde entier avec Ring, l’épouvantable histoire d’une image maudite qui tue tous ceux qui la voient, sept jours plus tard. Son succès s’explique en particulier par le mélange qu’il fait entre les effets du cinéma d’horreur occidental (jump-scare en particulier), les hantises japonaises traditionnelles, et surtout des trouvailles personnelles.
Les plans d’apparitions de personnages fantomatiques, quasi subliminaux, auront une influence durable sur les films d’horreur tournés à la suite. Lui-même, avec Dark Water, produira un deuxième long-métrage reconnu pour son horreur, et rendra aux histoires de fantômes un très bel hommage avec Kaidan.
La J-Horror : un phénomène marginal
La solitude, l’isolement dans un monde de gratte-ciel et de densité urbaine, la santé mentale des jeunes générations… Les films J-Horror illustrent des thèmes de société marquants au Japon, souvent par le biais de cinéastes marginaux et punk, équivalents d’écrivains modernes comme Ryu Murakami. Un auteur qu’adapte d’ailleurs Takashi Miike, cinéaste très prolifique et multigenre, en 1999 avec Audition, film extrêmement marquant par son scénario et surtout par ses dernières minutes, qui a influencé tout un pan du cinéma d’horreur des années 2000, le torture-porn – Miike fera d’ailleurs un cameo dans le film Hostel, d’Eli Roth. Audition, par son regard sur les hommes, les femmes et l’exploitation des corps, a gardé intact – à l’ère post-MeToo – son pouvoir d’édification.
Volontairement destroy et pleine d’humour noir, la filmographie de Miike, qui comprend aussi le polar ultra-gore Ichi the Killer, fait le pont entre le film culte de la J-Horror underground Tetsuo, horrifique œuvre cyberpunk sortie en 1989, et l’un des artisans actuels du genre au Japon, Sono Sion, autre bourreau de travail qui, depuis Suicide Club en 2001 (et son prequel Noriko’s Dinner Table) a montré que le cinéma d’horreur et de genre japonais parvenait à mêler mise en scène virtuose et propos sociétaux marquants.